Digitalisation-Processus #1: 3 idées fausses sur les processus

2 novembre 2015
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Dans nos esprits, les processus viennent de l’industrie, fruits du taylorisme et du fordisme. Et nous éprouvons beaucoup de difficulté à nous détacher de l’image critique, dénonçant le travail à la chaîne et la division des tâches, du film des « Temps Modernes » de Charlie Chaplin.

Pourtant, le processus n’a pas attendu l’ère industrielle pour exister, notamment sous une forme plus modeste de production qu’est l’artisanat. Et si, tout croissant que j’étais dans l’introduction, je vous parle de gastronomie et de processus dans les cuisines des restaurateurs, saurais-je vous convaincre de chasser de votre esprit trois idées fausses (parmi les majeures) le concernant ? … Mieux encore de vous prouver qu’il peut être une aide précieuse pour trouver la bonne recette pour digitaliser votre entreprise ?

 

  1. Idée fausse #1 : le processus, frein à la communication entre les métiers :

Quand il s’agit de « processer » une activité,  j’entends cette mise en garde : « Attention ! Il ne faut pas empêcher les équipes de se parler ! ». Je continue l’analogie à l’organisation d’une brigade de cuisine : la réussite du plat dont vous vous régalez au restaurant, est le fruit d’un processus parfaitement bien huilé et précisément défini. Les tâches et les rôles sont clairement répartis selon les expertises de chacun. Dans l’entreprise c’est pareil ! Même s’il existe des distances, et parfois des décalages horaires entre les équipes, il faut s’imaginer le processus comme un espace de travail partagé, où chacun sait précisément qui-fait-quoi- quand ? et qui en porte la responsabilité.

La communication entre les contributeurs est en effet essentielle. Je n’ose imaginer le résultat d’un plat arrivé en salle, si le processus, par lequel celui-ci était produit, empêchait la communication entre le chef, ses cuisiniers et le maître d’hôtel avec son personnel de salle. Le secret d’une bonne orchestration des préparations de plats au fur et à mesure des commandes des clients, c’est bien la bonne coordination d’un bout à l’autre du restaurant, assurée grâce aux interactions permanentes entre les contributeurs. On voit bien, dans cette métaphore filée de l’hôtellerie, que processus et communication plutôt que de s’opposer, se complètent parfaitement et se mettent au service du résultat final qu’est le plaisir de la dégustation de la recette par le client.

Parce que les rôles sont clairs et connus de tous et parce que les tâches sont définies précisément, le processus représente un excellent moyen pour fluidifier les échanges d’informations entre les contributeurs, dans la mesure où il permet de livrer la bonne information, au bon moment, au bon interlocuteur.

Grâce à l’approche par la chaîne de valeur de la production, c’est-à-dire en adoptant une vision de bout en bout, dépassant les frontières organisationnelles et impliquant les partenaires (ou prestataires), le processus favorise la transversalité, d’autant plus facilement s’il est digitalisé sous forme de workflow.

Ainsi les échanges s’enrichissent et créent ainsi de valeur au sein des équipes.

 

  1. Idée fausse #2 : les processus gênent la créativité et bride l’innovation

Vous connaissez surement cette phrase : « les processus enferment dans un carcan et mettent des œillères ; ils vont à l’encontre de la créativité et empêchent l’innovation.», à laquelle s’ajoute : « le marketing est un métier créatif qui ne se processe pas ! ».

Vous trouvez que les grands chefs de la cuisine française manquent d’ingéniosité, et de créativité ?! … alors que la gastronomie française est classée patrimoine mondiale de l’UNISCO aux côtés des plus grandes œuvres artistiques de l’histoire de l’architecture ! Et vous n’imaginez pas non plus, que les grandes réussites des restaurants étoilés sont dénuées d’une approche marketing ; explicite dans les restaurants des grands palaces, où des designers réputés créent des ambiances uniques, pensées comme des écrins aux recettes originales du Chef, le tout placé à l’entier service de l’expérience client.

Quelle différence avec un habillage marketing d’offre ? … Aucune !
Processer les équipes marketing est une pratique en plein essor. Elle est associée à la mise en place d’outils de MRM (Marketing Ressource Management), notamment dans les multinationales contraintes de produire des supports de communication en multilingue. (cf. l’évolution du Gartner – MRM depuis 5 ans où se sont invités les Teradata et IBM en rachetant chacun les leaders historiques Aprimo et Unica).

Pour réussir cette démarche de même qu’il faut considérer d’une part « le  produit » et d’autre part son « mode de production », il faut dissocier « le contenu » et « le processus » à partir duquel on l’élabore. Le processus aide à structurer et organiser le travail, de manière à supprimer ou limiter les tâches à faible valeur ajoutée. En éliminant les gaspillages les équipes peuvent réallouer les économies de temps à leur véritable expertise métier qu’est le contenu, particulièrement à l’heure de « l’Inbound Marketing », et ainsi privilégier la stratégie, la qualité et la créativité.

D’autre part, les processus apportent de la méthode pour aborder les « zones inconnues » intrinsèquement liées à la démarche d’innovation. Les spécialistes de la créativité parlent souvent de « processus d’innovation ».

En France, on peine à digitaliser les modes de fonctionnement des équipes marketing et mettre en place des outils de productions dans lesquels se greffent des fonctionnalités de workflow, couvrant de bout-en-bout la chaîne de valeur de leurs activités. Certaines l’ont déjà fait, comme BNP Paribas, Cetelem, Volvo, Bouygues Telecom etc. Les gains spectaculaires de productivité, de cohérence et les économies d’échelle réalisés peuvent être réinvestis dans la stratégie et l’innovation marketing.

Chez Bouygues Telecom l’association d’une démarche de refonte des processus marketing avec la mise en place d’une solution de MRM a permis de réduire les délais de production de 50% tout en multipliant le nombre de campagnes marketing par 6, faisant ainsi faire 5 millions d’euros d’économies en 5 ans (dont 2,7 en honoraires d’agence, reconductibles).

 

  1. Idée fausse #3 : les processus rigidifient l’organisation, la ralentissent et l’empêche d’être agile

La confusion entre vitesse et précipitation, concernant les processus, apparaît sous cette expression courante : « Je sais qu’il y a un processus mais je suis « à l’arrache » sur ce projet,  je n’ai pas le temps de le suivre. Je vais plus vite en faisant à ma manière ». Si je traduis : cela signifie que « le processus c’est bien pour les autres, mais surtout pas pour moi ». En cuisine, vous l’avez vu dans les émissions de téléréalité (Top Chef, Master Chef, le Meilleur Pâtissier), le fait de faire varier à sa guise l’enchaînement des étapes techniques, de sortir des règles métiers, savoir-faire fondateurs de la gastronomie, entraine des défauts en cascade : la viande est trop ou pas assez cuite, la pâte est brûlée ou manque de cuisson… Pour tenir les délais, on précipite les tâches et on dégrade la qualité. Alors qu’il s’agissait d’aller plus vite, le résultat est approximatif et l’expérience client laisse un arrière goût désagréable d’insatisfaction.

Le processus, notamment vu par le Lean6Sigma, permet d’imprimer un rythme de travail idéal (Takt Time), garantissant le juste à temps, au bon niveau de qualité, à coûts maîtrisés, en prenant en compte la Capacité d’absorption de la charge selon le délai. Le recentrage des équipes sur les tâches à valeur ajoutée les fait gagner en vitesse. Cela s’obtient par l’élimination des pertes : temps d’attente, retouches, défaut de communication et de compétences, surproduction etc. Le nombre de contributeurs s’en trouve optimisé et la pluridisciplinarité accrue, de manière à favoriser le « bon du premier coup », source de gain de temps et d’argent.

De même que les cuisiniers et le personnel de salle goûtent les plats du chef avant le service, dans l’entreprise, le processus sert aux équipes à mieux appréhender le résultat attendu, c’est-à-dire la vision cible. Ainsi, les énergies sont toutes canalisées, alignées et fédérées dans la même direction, au service de la stratégie. Cette orchestration responsabilise les acteurs et leur laisse suffisamment d’autonomie, pour réajuster leur travail, si nécessaire, et dans la limite de leurs compétences ; ce qui confère au processus un caractère agile, particulièrement précieux dans des contextes mouvants. Il est ainsi capable de souplesse et d’agilité, en contribuant à l’élaboration du produit final par itérations.

Comme il est en lui-même objet de la démarche d’amélioration continue de l’entreprise, sa modification permet d’imprimer rapidement les changements au sein des équipes ; en temps réel s’il est digitalisé via des workflow. En lui subordonnant des solutions informatiques, il favorise l’adaptation des employés aux nouvelles technologies et devient un moyen par lequel opérer la digitalisation des organisations.  

Il s’inscrit donc parfaitement à la boucle d’apprentissage de l’entreprise chère à Eric Ries dans le Lean Strart-up, en ce qu’il est constitutif du patrimoine des savoir-faire à la base de l’entreprise apprenante.

Le mariage du digital et de la transversalité, décrite plus haut, renforce la parallélisation des tâches au point de pouvoir dissocier le fond et la forme. Les uns élaborent les contenus tandis que les autres imaginent leur habillage créatif. Grâce aux outils en mode Saas ou en Cloud, le processus digitalisé décuple les gains de temps et accroît la réactivité des équipes.

 

Nous venons donc de voir que dans un contexte transversal et collaboratif, le processus fluidifie le travail et soutient les dynamiques agiles. Parce qu’il améliore la communication inter-expertise, il permet de gagner en efficience opérationnelle et en réactivité. Il réconcilie ainsi productivité, réactivité et créativité.

Si parfois on est tenté de s’en faire des idées fausses, c’est qu’il en existe de mauvais. C’est le principe sur lequel repose l’émission Cauchemard en Cuisine, où le Chef Gordon Ramsey  sauve des restaurants de la faillite. Sa recette, toujours la même : remettre du processus là où il n’y en a plus !  C’est-à-dire réapprendre à chaque équipe à : communiquer et se faire confiance, répartir clairement les rôles,  et se remobiliser autour d’un projet incarné par l’originalité et la qualité de la carte.

On pourrait ainsi conclure que meilleur est le processus, meilleur est la qualité de ce que l’on produit. Alors quand, aujourd’hui, dans les entreprises, la digitalisation s’impose comme un impératif, comment les processus peuvent-ils être abordés pour aider l’entreprise à convertir sa main d’œuvre en « cerveau d’œuvre », (expression de l’Institut de l’iconomie www.iconomie.org) pour aborder une nouvelle ère où le numérique est roi ? Répondre à cette question relève d’une autre cuisine qui fera l’objet de mon prochain article.

Je vous souhaite une éclatante journée
Blandine de Mascureau

Et pour être prévenu(e) de mon prochain article : cliquez par ici

 

Les autres articles de la série :
– intro :  pas de Digitalisation & Big Data sans processus #intro
– Article#2 : Digitalisation-Processus #2 : passer de l’idée à la réalisation (à paraître)
– Article#3 : Digitalisation-Processus #3 : pas de Big Data sans processus (à paraître)

photo : Aleksandr Kasian, Chef Pâtissier
“My work is my hobby. When I’m at work I feel like a child. I have a material, from which I can build, create something. Perhaps, if I hadn’t become a pastry chef, I would have become a constructor. I like to be involved in building work as a constructor. To work with cement and bricks.”
Crédit photo : Alex Slyadnev/foter.com